Au pied du mur

Il n’avait pourtant pas si mal commencé, ce mois de janvier 2015. Bon, évidemment, on pouvait toujours trouver que le ciel parisien n’avait pas la bonne nuance de gris, ou que ces vacances avaient décidément un goût de trop peu, ou encore soupirer en constatant qu’il serait assez illusoire d’espérer voir toutes les expos de sa liste avant leur fermeture. Rien que de très normal somme toute. Un début janvier avec de vrais problèmes de début janvier. Comme d’habitude.

Et puis soudain, une brèche ouverte dans notre champ pépère des possibles. Un électrochoc qui nous tire sans sommation de notre torpeur, comme réveillés en sursaut par quelqu’un qui nous arracherait notre couette. On est le 7 janvier vers 11h30 et les nouvelles sont mauvaises. Sidération, cacophonie émotionnelle, trois jours d’emballement médiatique, et surtout beaucoup de questions, beaucoup trop. Comment faire pour apprendre quelque chose de tout cela ? Comment essayer de sortir tous un peu grandis, un peu plus conscients de notre rôle de citoyens ? Et surtout : qu’est-ce que je peux faire, moi, à mon petit niveau ?

Je suis historienne de l’art. Mon boulot, c’est d’étudier les artistes et leurs œuvres, de les décrypter, d’analyser leurs dits et non-dits, de les replacer dans le contexte économique, social, politique et religieux qui les a engendrées. Il n’y a pas vraiment de problématique qui n’ait déjà été traitée en art, ou dont une oeuvre ne soit le révélateur même malgré elle. De même, bien des œuvres – ou les controverses qu’elles ont parfois suscitées – peuvent être lues comme les symptômes de faits sociaux plus profonds, de ces rivières souterraines qui modèlent et redessinent le paysage en surface. Elles peuvent éclairer notre présent par-delà les siècles, résonner singulièrement avec notre époque, opérer un court-circuit qui renouvelle notre façon de voir.

Je pense que la mise en perspective historique, la recherche de précédents, la compréhension de phénomènes évolutifs, avec leurs ruptures et leurs continuités, sont peut-être les meilleurs garde-fous à la tentation de foncer tête baissée dans les poncifs, les évidences un peu trop évidentes pour être honnêtes, les raccourcis commodes. Je pense que l’art et la culture sont des espaces de partage, de dialogue et de rencontre avec l’Autre, qui nous aident à réfléchir et nous apprennent à voir. Je pense qu’ils complètent de façon indispensable notre trousse à outils intellectuelle de citoyens. Et en plus ils nous font du bien. Pourquoi s’en priver ?

Alors pour conclure ce post inaugural en forme de note d’intention, je propose de traiter ici, selon une périodicité encore à déterminer, des thèmes soulevés par l’actualité – et ce n’est pas ce qui manque en ce moment – au travers d’œuvres piochées dans le répertoire de l’art européen surtout, mais pas que. Une dernière chose : si ce sont effectivement des événements douloureux qui ont été les catalyseurs de cette envie d’écrire, je n’envisage pas de partager mes réflexions sans humour potache ni légèreté, on ne se refait pas, j’ai été biberonnée à Brassens, Gotlib et Desproges. Vous voilà prévenus ! Et non, inutile d’insister, je ne posterai pas non plus de photos de mon chat.

A l’instar du Jeune dessinateur de Jean-Siméon Chardin taillant sa pierre noire d’un air décidé, et sous le patronage bienveillant duquel je place ce petit salon virtuel, fourbissons notre esprit critique, aiguisons notre regard, forgeons nos capacités d’analyse, déployons l’étendard du Gai Savoir… Aux arts, citoyens ! Et quant à moi, au boulot.

2 commentaires sur « Au pied du mur »

  1. Marie-Noëlle, je retrouve, dans cet article et ses propositions, le ton à la fois sérieux et léger qui sied à une jeune historienne de l’art, qui maitrise bien son sujet mais veut être vecteur de réflexion et de citoyenneté. Merci de nous faire partager tes connaissances et ton œil observateur, témoin du passé tout autant que du présent. Bises. Marie-Pierre.

    J’aime

Laisser un commentaire